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Champ-Dollon, entre réalités et clichés

par | 5 décembre 2014 | Actualité genevoise

 

« De toute façon, les prisonniers n’ont pas à se plaindre car…

– … ce sont tous des criminels! » Et non! 40% des personnes détenues à Champ-Dollon sont en détention préventive et sont donc présumés innocents en attendant leur jugement. Parmi ceux-ci, entre 10 et 15% sont des individus incarcérés pour seule infraction à la Loi sur les étrangers, ce qui veut dire que leur seul « crime » est de ne pas avoir de titre de séjour valable. Il peut notamment s’agir de travailleurs « sans-papiers » qui gagnent honnêtement leur vie et paient des cotisations sociales. Pour les individus qui ne sont pas en détention préventive, ils purgent leur peine à Champ-Dollon alors que cette prison est précisément prévue pour la détention préventive, ce qui a pour conséquence que ces personnes ne bénéficient pas du traitement auquel ils auraient droit selon la loi.

– … ils ne font rien de la journée! » Effectivement, ils sont enfermés dans leur cellule entre 22 et 23 heures par jour. Ils ont 1 heure de promenade quotidienne et un accès à la salle de sport pour 1 heure presque tous les jours. Aussi, suite aux bagarres qui eurent lieu à Champ-Dollon en début d’année 2014, les détenus ne prennent plus leurs repas en commun dans les couloirs mais mangent en cellule, ce qui augmente le temps qu’ils y passent.

– … ils peuvent travailler et sont même payés pour le faire! » Oui, mais la prison ne propose que 195 places de travail réparties dans 14 ateliers (ainsi seul 24% des détenus ont accès au travail). Certains de ces ateliers ont par ailleurs été fermés en raison de la surpopulation. De plus, la rémunération est de 17.50 CHF par jour.

– … ils peuvent suivre une formation! » Oui, mais les places sont limitées et de très nombreux détenus sont sur liste d’attente. Ceci est particulièrement dommageable lorsque l’on sait qu’en 2013 plus de la moitié des détenus étaient âgés de moins de 30 ans.

– … ils sont comme à l’hôtel! » Non, ou alors un hôtel bien particulier et surpeuplé. Au 6 février 2014, la prison de Champ-Dollon contenait 854 détenus pour 376 places, ce qui représente une surpopulation de 227%. Les cellules individuelles (12m2) sont actuellement occupées par 3 détenus, celles prévues pour 3 personnes (18m2) en accueillent 6. Des détenus ont dû dormir sur des matelas posés à même le sol durant une certaine période. Rappelons que selon le Tribunal fédéral, rester plus de 3 mois avec un espace de moins de 4m2/personne relève des conditions de détention dégradantes et inhumaines et ne respecte pas l’article 3 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Ces cellules ne sont aménagés que du rudimentaire : une télévision, une douche et un WC (pas de douche dans les petites cellules). Aussi, sont mélangés dans une même cellule les fumeurs et les non-fumeurs, les détenus en exécution de peine, ceux en détention préventive, ceux qui devraient se trouver dans un établissement psychiatrique et les récidivistes.

La surpopulation de la prison de Champ-Dollon a des conséquences dramatiques sur les conditions de vie des personnes qui y purgent une peine ou y travaillent. Nous en voulons pour preuve les grèves des gardiens d’avril 2013 et 2014 et les récentes bagarres entre détenus. La surpopulation carcérale entraîne également des violations des droits humains des personnes détenues. La Ligue Suisse constate de manière hebdomadaire des manquements concernant la transmission du courrier, l’accès au téléphone, l’accès aux soins, l’accès au travail et à la formation, le transfert dans des établissements appropriés, etc. Des témoignages de violences entre détenus et entre gardiens et détenus nous parviennent aussi régulièrement. A Champ-Dollon, la privation de droits s’ajoute ainsi à celle de liberté. Enfin, la surpopulation empêche la réalisation d’un des objectifs de la prison de Champ-Dollon : la « réinsertion sociale du délinquant ». Comment en effet parler de réinsertion lorsque l’on connait l’accès très limité au travail et à la formation pour les personnes détenues ainsi que les conditions catastrophiques de détention?

La Ligue Suisse des Droits de l’Homme dénonce depuis de nombreuses années la surpopulation carcérale qui sévit à Champ-Dollon et qui entraîne de nombreuses violations des droits humains. La population carcérale de Champ-Dollon a augmenté de 0.5 détenu par jour en 2013. Rien n’indique que ces chiffres baisseront, compte tenu de la politique conjointe actuellement menée par le Conseil d’Etat et le Ministère public, notamment en matière d’incarcération des personnes sans statut légal. En effet, si une personne ayant été condamnée pour séjour illégal est à nouveau arrêtée pour ce motif, elle est soumise à une peine pécuniaire, convertible en peine d’emprisonnement en cas de non-paiement. Ceci peut vite arriver pour un-e sans-papier n’ayant légalement pas le droit de travailler en Suisse.

La LSDH incite les autorités et la société civile à réfléchir à des solutions à cette situation et s’engage à ce titre à promouvoir la mise en place de peines alternatives.