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Bilan d’une année de visite à la Favra

par | 18 mars 1999 | Commission d'observation de procès en Suisse

 

Une fois par semaine, deux membres de la commission-prison se rendent dans ce lieu de détention pour rencontrer les détenus qui le souhaitent. Ces visites sont très importantes pour les détenus qui sont tous des étrangers en attente de leur renvoi et qui n’ont, pour la plupart d’entre eux, pas de famille à Genève ni ailleurs en Suisse. Le contact avec les visiteurs de la Ligue constitue donc pour eux un des rares, voire le seul lien avec l’extérieur, étant précisé que l’AGORA (aumônerie genevoise oecuménique auprès des requérants d’asile) fait aussi des visites régulières à ces détenus.

Si au début de l’année 1998, il y avait en moyenne 4 à 8 personnes qui se trouvaient détenues à FAVRA, cette maison qui dispose de 15 cellules à un ou à deux lits, héberge depuis l’automne 1998 en moyenne 16 détenus et affiche donc quasiment complet.

Après une année de visites effectuées aux détenus administratifs, nous avons décidé de faire un bilan de la situation, de nos constats, impressions et préoccupations.

1. But de nos visites

La grande majorité des détenus ne comprennent absolument pas pourquoi ils se trouvent emprisonnés. En effet, ceux qui ont préalablement subi une condamnation pénale ont déjà purgé leur peine dans une prison destinée à cette fin et ils ne comprennent pas pourquoi ils doivent subir une nouvelle incarcération, qui représente pour eux une double peine. Les autres détenus, qui n’ont pas exercé d’activité délictuelle, comprennent encore moins la raison de leur enfermement et ont de la peine à croire que leur détention, qui est clairement ressentie comme une punition, soit permise par la loi. Ils ressentent une grande frustration à être enfermés sous la menace permanente d’un renvoi qui peut intervenir à tout moment, même sans avertissement préalable. Certains détenus sont très déprimés par leur situation, d’autres se montrent parfois agressifs envers nos visiteurs, qui n’ont pas toujours un rôle facile. Mais le peuple suisse a malheureusement accepté la loi sur les mesures de contrainte qui permet ce type de détention.
Le but des visites de la Ligue est notamment de veiller à ce que les mesures de contrainte ne soient pas appliquées de façon abusive et de s’assurer que le traitement des détenus soit, à tout moment, conforme aux droits de l’Homme. Souvent, les détenus n’ont pas d’avocat, et nous les aidons à en demander un et à faire valoir leurs droits. Lorsqu’un avocat est constitué, la Ligue joue aussi un rôle de relais important entre le détenu et son défenseur.

2. Législation

Les mesures de contrainte sont entrées en vigueur en février 1995 et figurent dans loi fédérale sur le séjour et l’établissement des étrangers. Chaque canton a, par la suite, édicté sa propre législation d’application.

Il faut savoir qu’il y a très peu de cas genevois qui se trouvent enfermés à FAVRA grâce à une application réservée de la loi sur les mesures de contraintes par les autorités genevoises.

Mais hélas, cette pratique restrictive des mesures de contrainte n’empêche pas que des personnes se trouvent en détention administrative sur sol genevois. En effet, afin de « rentabiliser » la maison d’arrêt de FAVRA qui, conformément à la jurisprudence du Tribunal fédéral interdisant de mélanger les détenus administratifs avec les détenus pénaux, est réservée exclusivement aux détenus administratifs, le canton de Genève a conclu des arrangements avec les cantons de Berne, Fribourg, Neuchâtel, Vaud et Valais.

Ainsi, les détenus qui se trouvent à la maison de FAVRA proviennent donc quasi exclusivement de ces cantons. La conséquence est que nous sommes confrontés à six législations cantonales et autant d’autorités différentes, ce qui est particulièrement gênant pour connaître les voies ou délais de recours dont dispose un détenu dans un cas concret. De même, le droit à un avocat est variable d’un canton à l’autre, la jurisprudence du Tribunal fédéral n’imposant que l’exigence minimale du droit à un avocat après une détention d’une durée de trois mois.

Il faut encore préciser que les cantons de GE, VD et NE ont conclu un « Concordat sur l’exécution de la détention administrative à l’égard des étrangers » qui règle notamment le régime d’exécution, entré en vigueur pour GE le 15 octobre 1997 et applicable par les cantons signataires si la détention a lieu dans un établissement concordataire.

Enfin, il existe également un règlement cantonal de la maison d’arrêt de FAVRA qui règle les conditions de détention L’existence parallèle de différentes normes peut créer passablement de difficultés lorsqu’il s’agit de trouver une réponse précise dans une situation concrète.

3. Conditions de détention et le traitement des détenus

Les détenus se trouvent en principe dans des cellules à une personne. Depuis le début de cette année, à des moments de grande affluence, un deuxième lit est placé dans certaines cellules. Pendant la journée, les détenus ont le droit de bouger librement dans la maison, qui a trois étages. Il y a une salle commune, où les repas sont pris en commun.

Pendant une heure par jour, ils peuvent sortir pour la promenade, qui a lieu dans une partie clôturée du jardin. A noter que le concordat précité prévoit à l’art. 20 al. 1 qu’en règle générale, le détenu peut accéder librement à un espace en plein air pendant la journée, ce qui n’est actuellement pas le cas à FAVRA.

Par ailleurs, les détenus disposent d’une salle de sport et d’un atelier de bois.

Hormis la difficulté consistant à être enfermés, les détenus de FAVRA n’ont jamais formulé de plainte particulière sur leurs conditions de détention à l’intérieur de FAVRA, ni sur leur traitement. Les rapports entre le personnel et les détenus sont plutôt bons.

Les détenus qui ont passé préalablement par Champ-Dollon estiment que les conditions de détention à FAVRA sont moins bonnes. En effet, à Champ- Dollon, les détenus disposent d’une offre plus grande, ils ont notamment accès à un assistant social ou peuvent suivre des formations, ce qui n’est pas le cas à FAVRA, alors que le séjour dans cette maison peut aussi s’étendre sur plusieurs mois, jusqu’à un maximum de 9 mois, voire 12 si les autorités font usage de la détention préparatoire.

Nous essayons parfois de pallier à l’absence de certains services : une de nos visiteuses notamment avait commencé à donner des cours d’alphabétisation à un jeune détenu. Ces cours n’ont cependant pas pu aboutir, le détenu ayant été expulsé entre-temps.

Il nous semble important que les détenus à FAVRA, qui doivent en général y rester pour une assez longue période, puissent au moins investir un peu utilement leur temps et nous regrettons cette absence totale de possibilité de formation. De même, il nous semble indispensable que les détenus puissent disposer d’un service social.
Un incident malheureux s’est produit au début de l’année 1998, lorsqu’un détenu serbe dépendant des autorités vaudoises se trouvait incarcéré à FAVRA. Il a été attaqué et malmené par des co-détenus albanais. Cet incident a soulevé la question de la sécurité des détenus et montre que les autorités doivent être particulièrement attentives quant à la composition de la population qui se trouve à l’intérieur d’un même lieu de détention.

Nous avons reçu des plaintes de détenus au sujet de leur sortie chez le médecin ou le dentiste. En effet, les convoyeurs de la Police, lesquels amènent les détenus à l’hôpital ou chez le dentiste, les obligent à mettre des menottes et à les garder en salle d’attente, voire pendant le traitement. Cette obligation de devoir garder des menottes est ressentie par les détenus comme une grande humiliation, notamment lorsqu’ils se trouvent dans une salle d’attente en présence d’autres patients. Un médecin-dentiste a d’ailleurs carrément refusé de traiter un détenu qui devait garder ses menottes.

Si nous comprenons évidemment le souci des autorités qui ont la charge de retenir ces personnes, nous estimons qu’il faut appliquer le principe de la proportionnalité et mettre les menottes quand c’est absolument nécessaire, sans que cela soit humiliant pour le détenu.

Enfin, il faut préciser que, depuis peu de temps, les détenus de FAVRA sont amenés à la Clinique des Grangettes, où ils peuvent attendre dans une salle d’attente séparée des autres patients, ce qui rend le port des menottes un peu moins humiliant, mais ne résout pas le problème de fond.

4. Défaut d’information

Nous sommes consternés de voir à quel point les détenus sont laissés, par les autorités cantonales compétentes, dans l’ignorance la plus totale sur leur sort. Parfois ils ne sont même pas en possession d’une copie de la décision qui ordonne ou prolonge leur détention. Il arrive aussi que les autorités « oublient » de les convoquer et de venir les chercher pour des audiences au sujet de la prolongation de leur détention. Par cette attitude, les autorités cantonales se montrent non seulement parfaitement irrespectueuses, voire méprisantes, envers les détenus, mais il s’agit surtout d’une violation du droit d’être entendu dont jouit toute personne.

Il faut malheureusement dire que les avocats constitués ne sont pas toujours très zélés en matière de communication avec leur client qui se trouve à Genève en détention administrative, et donc en quelque sorte « au bout du parcours ». Mais il est aussi vrai que l’éloignement géographique du client ne facilite pas le travail des avocats.

Souvent, les agents du canton dont dépend le détenu se présentent à FAVRA pour le chercher sans qu’il ait été prévenu de leur arrivée, ni informé des raisons pour lesquelles on vient le chercher, que ce soit pour une audition devant le juge pour statuer sur la prolongation de la détention, le transfert dans une autre prison, l’exécution de son renvoi ou simplement sa libération. Même les autorités de FAVRA ne seraient pas informées préalablement par les autres autorités cantonales, ce qui nous étonne tout de même un peu…

Nous avons également connaissance de cas d’exécutions de renvoi où les détenus ne savaient pas que la police venait les chercher pour les amener à l’aéroport. Ils ont dû partir sans pouvoir prendre leurs affaires, ce qui est plutôt problématique au regard de la garantie de la propriété.

Parfois, les agents viennent chercher un détenu pour le renvoyer, alors qu’il est en plein repas !

Choquante est aussi l’absence d’information des autorités à l’égard des avocats constitués. Il n’est en effet pas rare que ceux-ci apprennent par la Ligue que leur client a été transféré, il y a plusieurs jours déjà, à Genève,… ou pire, souvent l’avocat apprend par Ligue que son client a été renvoyé ou que les autorités ont procédé à une tentative de renvoi sans donc prévenir ou au moins informer l’avocat régulièrement constitué.

L’intérêt qu’ont les autorités à cette absence d’information n’est hélas que trop évident : elles veulent assurer un maximum de renvois sans que cela ne fasse de bruit et sans qu’il n’y ait des tentatives de les en empêcher.

Ainsi, il arrive souvent que nos visiteurs ne retrouvent plus une personne à FAVRA pour laquelle ils viennent de faire une démarche et les autorités de FAVRA ne peuvent pas nous dire ce que cette personne est devenue, aucune information ne circulant, selon elles, à ce sujet entre autorités…

A ce jour, nous n’avons pas encore pu établir un système qui nous permet de connaître systématiquement le sort des détenus qui ont passé par FAVRA et qui en disparaissent un jour parce qu’ils sont renvoyés, transférés ou libérés.

5. Exécution des renvois et leurs tentatives inachevées

La façon de plus en plus acharnée dont les autorités tentent de renvoyer certains détenus qui s’y opposent, avec de plus en plus de détermination, nous crée beaucoup de soucis.

Nous constatons en effet, depuis l’automne dernier, un durcissement dans le traitement des détenus lorsque les autorités essaient de les renvoyer. Afin d’illustrer ce durcissement, nous mentionnerons les cas suivants, mais il y en a bien d’autres :

A la fin de l’année 1998, la police vaudoise est venue chercher à FAVRA un détenu congolais et l’a amené dans un premier temps à Lausanne sans lui en expliquer les raisons. A Lausanne, il fut mis dans un train pour Zurich- Aéroport, où il a passé une nuit dans la prison pour personnes en voie de refoulement. Le lendemain, les agents zurichois ont essayé à 6 hommes de l’embarquer dans l’avion. Il fut menotté aux pieds et aux mains, un linge lui a été mis sur le visage lui provoquant le sentiment d’étouffement, afin qu’il ne puisse pas voir. Il a opposé une telle résistance à son renvoi que les agents ont dû abandonner, mais il a subi de lésions corporelles très importantes lors de cet incident. Il a été renvoyé à FAVRA où il est arrivé dans un état pitoyable, qui a nécessité les soins d’un médecin. Sur la base du constat médical établi, plainte pénale a été déposée.

Un autre détenu a été menacé à FAVRA par la police neuchâteloise qu’un calmant lui serait injecté s’il s’opposait une nouvelle fois à son renvoi qui devait avoir lieu dans deux jours. Suite à notre intervention auprès de la Section asile du canton de Neuchâtel, la cheffe du service nous a fait part de sa consternation quant à cet incident et nous a assuré que de telles méthodes, qu’elle aussi estime par ailleurs contraires aux droits de l’Homme, ne seraient jamais appliquées par les autorités neuchâteloises. Voilà qui nous rassure!

Quant au détenu en question, il s’est une nouvelle fois opposé à son renvoi et a été transféré dans un lieu de détention à la Chaux-de-Fonds.

Le problème reste donc entier et nous nous demandons ce qui se passera lorsque les autorités essaieront de renvoyer ce détenu pour la énième fois et qu’il s’y opposera avec une détermination qui est à la mesure de son désespoir.

Dans une autre situation, les agents fribourgeois sont venus chercher un détenu et ont fait usage de violences contre lui, à l’intérieur de FAVRA même, sous les yeux des autres détenus et éventuellement au su des gardiens.

Nous devons donc constater une vraie escalade de la violence et de mauvais traitement au moment des tentatives de renvoi, et nous sommes très inquiets quant aux perspectives d’avenir.

6. Problèmes en lien avec les arrestations

Dans le cadre de nos visites à FAVRA, nous retrouvons un problème qui occupe la Ligue depuis fort longtemps hélas, il s’agit celui des violences policières et mauvais traitements au moment de l’arrestation, et plus tard, lorsque la personne arrêtée est amenée au commissariat.

Un détenu dépendant des autorités vaudoises, est arrivé à FAVRA présentant des morsures de chien médicalement constatées; il aurait été laissé seul dans une chambre avec un chien de police…

Deux autres détenus, dont un cas genevois, présentent des blessures provenant d’un étranglement qui leur a été infligé par la police au moment de l’arrestation. Pour l’un des deux, le médecin est d’avis que l’étranglement que le détenu a subi aurait pu causer sa mort. Nous avons dénoncé cette situation au Procureur Général ainsi qu’au Chef de la Police.

Conclusions

Les mesures de contrainte sont problématiques du point de vue des droits de l’Homme, des libertés individuelles et des garanties constitutionnelles :

Les personnes qui se trouvent en détention administrative ont systématiquement l’impression de subir une punition, une sanction. Il en résulte que les mesures de contrainte sont contraires au principe de droit pénal « Nullum crimen, nulla poena sine lege » qui interdit qu’une personne soit punie pour un acte non expressément érigé en infraction.

Ensuite, il y a des problèmes dans l’application et différentes garanties constitutionnelles sont violées, notamment la garantie de la propriété et le droit d’être entendu. L’éloignement géographique entre le détenu et son avocat entrave les droits de la défense.

Quant aux possibilités de promenades qui doivent être accordées aux détenus sous peine de violer la liberté personnelle, une heure de promenade par jour constitue un stricte minimum selon la jurisprudence du Tribunal fédéral relative à la détention pénale. S’agissant de la détention administrative dont le régime est plus souple, les détenus devraient pouvoir se promener à l’air libre pendant plus d’une heure par jour. Nous osons dès lors espérer que l’art. 20 al. 1 du concordat sur l’exécution de la détention administrative qui garantit aux détenus le libre accès à un espace en plein air pendant toute la journée sera rapidement mis en application.

Si, pour le surplus, les conditions de détention proprement dites et le traitement des détenus à FAVRA même sont globalement satisfaisants, il y a des problèmes de mauvais traitement des détenus au moment de leur arrestation et surtout lorsque les autorités essaient de les renvoyer. Les détenus faisant l’objet d’une décision de renvoi définitive et exécutoire, les autorités ont juridiquement le droit d’exécuter leur renvoi dès que possible, donc à tout moment.

Or, lors du renvoi, il y a beaucoup de zones d’ombre, de quasi non-droit, où les actes des autorités échappent à tout contrôle, le détenu se trouvant seul face aux agents chargés de l’exécution de son renvoi. En effet, il est difficile de savoir ce qui se passe exactement au moment où une personne est mise dans un avion, ou lorsqu’elle est détenue à la prison d’aéroport de Zurich- Kloten et préparée pour son renvoi qui est immédiat. Personne n’est alors là pour intervenir s’il y a mauvais traitement.

Nous tenons dès lors à rappeler que ces personnes qui sont en attente ou sur le point d’être renvoyées, bénéficient aussi, à l’instar de toute personne se trouvant sur sol suisse, de la garantie des droits de l’Homme, notamment du droit au respect de leur intégrité physique et psychique, ainsi qu’au respect de leur dignité humaine et de toutes les garanties de procédure. Nous demandons à toutes les autorités chargées de l’application des mesures de contrainte ainsi que du renvoi de ces personnes d’agir en tout temps en plein respect de ces garanties qui sont l’essence même d’un Etat de droit.