L’origine des droits humains tels qu’on les entend aujourd’hui remonte au XVIIe siècle, avec tout d’abord l’habeas corpus et le Bill of Rights, puis la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Ces textes ont pour vocation de protéger les individus face à la puissance de l’Etat et de définir les conditions indispensables à l’exercice de la démocratie, comme le droit à la vie, l’interdiction de la torture, de l’esclavage et du travail forcé, le droit à la liberté et à un procès équitable, le principe de «pas de peine sans loi», l’interdiction de l’arbitraire et la non-rétroactivité du droit pénal.
Mais c’est surtout depuis 1945 que les droits humains se sont développés et universalisés. A cette époque, l’humanité sortait meurtrie et horrifiée d’une conflagration mondiale laissant derrière elle plus de 50 millions de morts, principalement des victimes civiles. Extermination industrielle de populations entières, exécutions sommaires, charniers, punitions collectives, disparitions forcées, tortures, le tout sur fond de discriminations religieuses, ethniques, politiques, de handicap ou d’orientation de genre. Indignée face à tant de mépris vis-à-vis de la dignité humaine, la communauté internationale a juré que «plus jamais ça!».
Libertés fondamentales
La réponse pour prémunir nos sociétés de telles atrocités a été de développer et préciser les droits humains tant dans le droit international que dans le droit interne de chaque pays. L’Europe a été particulièrement dynamique dans cette construction en raison de son implication dans le déferlement de cette barbarie sur le globe. Est ainsi née la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et ses nombreuses annexes, qui protègent le «bien-vivre ensemble» dans le respect de la dignité d’autrui et de ses différences. Ensemble, elles définissent aussi les conditions garantissant un réel exercice de la démocratie et fixent les règles minimales au fonctionnement d’un Etat de droit, notamment la séparation des pouvoirs.
Il n’est peut-être pas inutile de rappeler quelles sont les libertés fondamentales qu’elles protègent: le droit à la vie et à la dignité. L’interdiction de la peine de mort, de la torture et des traitements cruels et inhumains. Interdiction de l’esclavage, du travail forcé, des détentions arbitraires et des disparitions forcées. Droit à la liberté et à l’asile. Principes d’égalité et interdiction des discriminations. Garantie de la présomption d’innocence et droit à un procès équitable. Liberté de pensée et de religion. Liberté d’opinion et d’expression. Liberté de réunion et d’association. Liberté de la presse. Droit au mariage et au respect de la vie privée. Garantie de la propriété. Droit à une nationalité. Droit de participation politique. Droit à un enseignement de base gratuit et obligatoire. Liberté de la science et de l’art. Liberté de vivre sa culture et de pratiquer sa langue. Protection des minorités. Pour les principales.
On ne peut que s’inquiéter du projet politique qui sous-tend une initiative telle que celle sur les «juges étrangers»
Ces libertés que les droits de l’homme garantissent paraissent tellement évidentes et… fondamentales qu’on ne peut que s’inquiéter du projet politique qui sous-tend une initiative telle que celle sur les «juges étrangers», abusivement dite «de l’autodétermination». Car quoi qu’en disent ses promoteurs, l’objectif réel de cette initiative est bel et bien que la Suisse dénonce la CEDH. Il suffit de faire un rapide tour sur les commentaires de ses soutiens sur les réseaux sociaux pour s’en convaincre.
Pas de tribunal constitutionnel
Les initiants soutiennent qu’il n’est nul besoin de contrôle international pour que les droits humains soient respectés dans notre pays, que notre Constitution se suffit à elle-même. Mais comment la Constitution pourrait-elle être une garantie de protection alors que, d’une part, il existe un droit d’initiative populaire fédérale permettant justement de modifier notre Constitution sans restrictions et que, d’autre part, il n’existe aucun tribunal constitutionnel dans notre pays?
Cinquante ans après Auschwitz, l’Europe a de nouveau été le théâtre de génocides, d’épurations ethniques, de camps de concentration et d’atrocités lorsque l’ex-Yougoslavie s’est déchirée dans les années 1990. L’Europe n’est donc pas à l’abri de voir de telles horreurs se reproduire sur son sol et il faudrait être bien naïf pour penser que la Suisse fait exception.
Le contexte politique actuel, tant national qu’international, où l’intolérance et l’indifférence s’installent dans les cœurs et où des pratiques fascisantes, qu’elles soient ethniques, nationalistes ou religieuses, se renforcent chaque jour, doit nous rappeler qu’il ne faut pas baisser la garde. Il est essentiel de préserver nos libertés en rejetant résolument l’initiative sur l’autodétermination.