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Mission d’observation judiciaire au Cameroun: harcèlement judiciaire contre les membres du MDDHL

par | 1 janvier 2005 | Commission d'observation de procès à l'étranger

La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), dans le cadre de leur programme conjoint, l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, ainsi que la Ligue suisse des droits de l’Homme, section de Genève (LSDH), avec le soutien de l’Ordre des avocats de Genève (ODA), ont chargé Me Patrick Herzig, membre de la LSDH et avocat stagiaire à Genève, de se rendre à Maroua, Cameroun, du 20 au 26 mars 2005 afin d’y effectuer une mission d’observation judiciaire.

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Dans ce cadre, le chargé de mission a rencontré les personnes suivantes:

  • Mme Rita Tchamembe Kakmani, vice-présidente de la Cour d’appel de l’Extrême Nord, Maroua.
  • M. Francis Claude Michel Moukoury, avocat général près la Cour d’appel de l’Extrême Nord.
  • M. J.M Namachoua Noumbissie, avocat, délégué spécial du Bâtonnier pour l’Extrême Nord, Maroua.
  • M. Georges Ntimba, juge au Tribunal de première instance de Maroua.
  • M. André Marie Mba, président du Tribunal de grande instance du Diamaré, Maroua.
  • M. Joseph Efa Manfred, juge au Tribunal de première instance de Maoura.
  • M. Michel Nkenko Yameni, avocat, Maroua.
  • Sa Majesté Bakari Yerima Bouba Alioum, Lamido (1) de Maroua.
  • Me Abdoulaye Math, président du MDDHL, Maroua.
  • Me Jean de Dieu Momo, avocat, défenseur de Me Abdoulaye Math et de MM. Blaise Yacoubou et Aminou Mohamadou.

HISTORIQUE DE LA MISSION

Dès décembre 2004, l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme (dénommé ci-après l’Observatoire) et la LSDH ont mandaté M. Patrick Herzig dans le but d’effectuer une mission d’observation judiciaire à l’occasion des procès intentés contre le président et deux membres du MDDHL, qui devaient se tenir à Maroua le 22 décembre.

La mission n’a pu alors avoir lieu en raison du refus, par le consulat du Cameroun à Genève, de délivrer un visa à M. Herzig, au motif que, en sus des conditions d’obtention prévues dans les « Conditions pour obtenir un visa d’entrée au Cameroun », s’agissant d’une mission à caractère judiciaire, le chargé de mission devait être officiellement invité par le gouvernement camerounais, en l’occurrence le ministre de la Justice, M. Amadou Ali.

L’Observatoire a néanmoins mandaté Me Jean de Dieu Momo, avocat camerounais, pour assurer la défense des membres du MDDHL. Incidemment, les audiences prévues le 22 décembre 2004 ont été reportées au 26 janvier 2005, en raison de l’absence du plaignant, M. André Dimbeng, chef de district de Ndoukoula, devant comparaître comme témoin dans cette affaire.

Une autre demande de visa a été déposée en vue de la participation aux audiences du 26 janvier 2005. Le visa ne fut pas délivré, sans qu’aucune explication officielle ne soit donnée. Nonobstant ce refus, l’Observatoire a une nouvelle fois demandé à Me Momo de se rendre à Maroua pour défendre les membres du MDDHL.

Me Momo a pu, à cette occasion, plaider dans plusieurs dossiers concernant le MDDHL (voir infra). Cependant, une nouvelle fois, la plupart des procès ont été reportés au 23 février 2005, notamment pour que, dans l’affaire concernant Me Abdoulaye Math, le plaignant fonctionnaire, M. André Dimbeng, ayant déjà fait défaut lors des audiences précédentes, soit cité à parquet.

Une troisième demande de visa a été alors déposée en vue de la participation à l’audience du 23 février 2005. Malgré les interventions de la FIDH, de l’OMCT et du président de la Commission nationale des droits de l’Homme et des libertés (CNDHL) (2), M. Chemuta Divine Banda, le visa ne fut pas délivré. Toutefois, suite à l’intervention de la CNDHL, le procès a été reporté au 23 mars 2005 afin que le chargé de mission puisse y participer.

Cette fois, le visa fut enfin délivré de sorte que le chargé de mission a pu assister aux audiences mises au rôle du tribunal le mercredi 23 mars 2005. Me Momo était également présent grâce au soutien de l’Observatoire.

 

OBSERVATION JUDICIAIRE DES AUDIENCES CORRECTIONNELLES DU 23 MARS 2005 A MAROUA

Verdict dans l’affaire MP et André Dimbeng c/ MM. Blaise Yacoubou et Aminou Mohamadou (membres du MDDHL)

M. Patrick Herzig, présent aux audiences correctionnelles du 23 mars 2005 à Maroua, a pu assister au dénouement d’une affaire portée depuis 2003 en justice par le chef de district de Ndoukoula et le parquet d’instance de Maroua contre deux membres du MDDHL, MM. Blaise Yacoubou et Aminou Mohamadou (3). Cette affaire illustre les déboires judiciaires subis par les défenseurs des droits de l’Homme dans le nord du Cameroun, les aléas d’une justice lente et démunie de moyens ainsi que le poids de certaines autorités locales sur l’administration policière et judiciaire.

1. Rappel des faits et de la procédure

Le 30 avril 2003, alors que MM. Yacoubou et Mohamadou mènent une enquête dans le district de Ndoukoula, le chef dudit district, M. André Dimbeng, leur donne lecture d’une circulaire du Procureur de la République demandant d’appréhender toute personne qui se présenterait comme défenseur des droits de l’Homme (voir infra). Il retient par la suite leur carte d’identité et leur ordre de mission.

MM. Yacoubou et Mohamadou sont convoqués le 11 août 2003 à la Brigade des recherches de Maroua pour récupérer leurs papiers d’identité. Il leur est alors notifié qu’ils étaient recherchés depuis plusieurs mois et considérés ainsi comme fugitifs. Ils sont arrêtés et mis en détention durant deux jours, au cours desquels ils ne peuvent ni boire ni manger.

Libérés le 14 août 2003, MM. Yacoubou et Mohamadou ne récupèrent leurs papiers d’identité que le 2 septembre 2004 sur décharge au parquet du Procureur de la République.

Le 3 septembre 2004, les deux membres du MDDHL reçoivent une citation à comparaître devant le Tribunal de Maroua pour le 29 septembre 2004. Ils sont tous deux accusés de « troubles au fonctionnement d’un service public auquel ils sont étrangers », une infraction pénale passible de six jours à un mois de prison ferme.
Une première fois reportée au 22 décembre 2004, la première audience pénale s’est tenue le 26 janvier 2005.

M. Herzig n’ayant pu obtenir son visa pour assister au procès, Me Jean de Dieu Momo a alors été mandaté par l’Observatoire pour assurer la défense des membres du MDDHL. Ce dernier a plaidé le renvoi de cette affaire afin que le plaignant soit cité à comparaître pour un débat contradictoire. Ce renvoi avait également
été sollicité par le président de la Commission nationale des droits de l’Homme et des libertés qui souhaitait intervenir auprès des autorités camerounaises compétentes pour permettre au chargé de mission, M. Herzig, d’assister à l’audience. L’affaire a été renvoyée au 23 février 2005 puis une nouvelle fois reportée au 23 mars 2005.

2. Déroulement du procès

L’affaire MP et André Dimbeng c/ Blaise Yacoubou et Aminou Mohamadou a été inscrite au rôle du Tribunal de Maroua au N° 39/2004 DA 0861. Les deux membres du MDDHL sont mis en accusation sur le fondement de l’article 185 du Code pénal camerounais (CPC) qui stipule: « Est puni de l’emprisonnement de 6 jours à un mois ou d’une amende de 1000 à 5000 CFA, celui qui trouble le fonctionnement d’un service public auquel il est étranger ».

Le tribunal est présidé par M. le Juge Ntimba. L’accusation est tenue par M. Mouna, substitut du Procureur de la République. La défense est assurée par Me Momo, avocat à Douala.

Le procès se déroule selon les principes du contradictoire et d’oralité. L’instruction et l’administration des preuves a lieu en audience sur la base du dossier d’enquête de police.

[…]

ENSEMBLE DES PROCEDURES JUDICIAIRES ENGAGEES CONTRE ET PAR LE MOUVEMENT POUR LA DEFENSE DES DROITS DE L’HOMME ET DES LIBERTES ET SON PRESIDENT, M. ABDOULAYE MATH

[…]

  1. Affaires MDDHL et Abdoulaye Math c/ Semdi Soulaye
    1. Plainte pour abus de confiance aggravé et rétention sans droit de la chose d’autrui
    2. Plainte pour faux, usage de faux, et abus de confiance
    3. Plainte pour usurpation de titre, chantage, injures et diffamation
  2. Affaire Semdi Soulaye c/ MDDHL et Abdoulaye Math
    1. Plainte c/ Abdoulaye Math pour abus de confiance
    2. Plainte c/ le MDDHL pour licenciement abusif sans contrepartie
  3. Affaire MP et Elise Monthe c/ Abdoulaye Math pour escroquerie.
    Affaire MP et Abdoulaye Math c/ Elise Monthe pour destruction de biens et coups et blessures

 […]

CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS

1. Conclusions

  1. Les audiences judiciaires des 23 et 24 mars 2005, à l’exception du refus de recevoir Me Momo dans sa plaidoirie au motif que l’affaire avait été renvoyée pour les réquisitions du Ministère public dans l’affaire d’émission de chèque sans provision, se sont déroulées dans le respect des normes internationales de protection des droits de l’Homme offrant les garanties minimum du droit à un procès équitable: droit d’être entendu, droit d’être assisté d’un avocat, publicité des débats. Les principes d’oralité et d’immédiateté donnant à la justice camerounaise une souplesse permettant aux avis les plus divers de s’exprimer ont été respectés, la présence du chargé de mission n’étant certainement pas étrangère à cet état de fait.
  2. Toutefois, il faut relever le manque de moyen de la justice et la précarité des locaux dans lesquels travaillent magistrats et avocats. Le personnel est insuffisant, il n’y a qu’un seul greffier de juridiction dont la charge de travail est très lourde. Les bureaux sont mal équipés. Il y a peu d’ordinateurs, les locaux sont petits, sans véritables installations destinées à recevoir les dossiers.
  3. Les nombreuses procédures engagées contre les membres du MDDHL et son président entravent le bon fonctionnement des activités régulières de l’organisation. La lenteur de la justice, les nombreux reports d’audiences, les multiples convocations judiciaires ne confèrent pas au MDDHL la sérénité nécessaire au travail de protection et de promotion des droits de l’Homme dans l’Extrême Nord Cameroun.
  4. Les connivences existantes entre les autorités locales, administratives et policières peuvent altérer les principes d’équité, propres d’une justice indépendante, et entraîner des irrégularités dans les procédures: des instructions bâclées; des accusations changées par le parquet; des infractions requalifiées; des audiences en l’absence de l’avocat de la défense; des témoins et/ou plaignant cités qui ne comparaissent pas.
  5. Les différents procès intentés contre les membres du MDDHL et son président indiquent les difficultés que rencontrent les organisations locales de protection des droits de l’Homme à faire reconnaître leur travail auprès des autorités locales mais également au sein de la population. Les questions posées par le juge sur la légitimité de telle ou telle activité du MDDHL lors des audiences du 23 mars 2005 semblent l’attester.

2. Recommandations

Par conséquent, la FIDH et l’OMCT, dans le cadre de leur programme conjoint l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, et la LSDH demandent aux autorités camerounaises de:

  • Mettre un terme à toute forme de harcèlement, y compris judiciaire, à l’encontre du MDDHL et de ses membres, et de tous les défenseurs des droits de l’Homme camerounais;
  • Garantir le strict respect des dispositions de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’Homme adoptée en 1998 par l’Assemblée générale des Nations unies;
  • Assurer le respect des conventions internationales de protection des droits de l’Homme qui lient le Cameroun, notamment les articles 9, 10 et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et l’article 7 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, concernant les droits de la défense et le droit à un procès équitable;
  • Veiller à ce que les fonctionnaires chargés de l’application des lois connaissent et respectent le droit national et international et organiser à cette fin des formations permanentes obligatoires sur la protection des droits de l’Homme pour les magistrats, les avocats, les préfets et les chefs de quartier;
  • Ratifier le Protocole additionnel à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples portant création de la Cour africaine des droits de l’Homme et des Peuples et faire la déclaration au titre de son article 34.6 permettant aux individus et aux organisations non gouvernementales de saisir directement cette juridiction;
  • Apporter les moyens financiers appropriés à l’équipement des tribunaux, aux travaux judiciaires et aux besoins de postes pour assurer une meilleure administration de la justice;
  • Fournir aux magistrats des conditions de travail et de rémunération permettant d’assurer leur indépendance;
  • Inviter la Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’Homme et la Rapporteur spéciale de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples, à se rendre sur le territoire du Cameroun.

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(1) Les Lamibé (pluriel de Lamido) sont des chefs locaux détenteurs de pouvoirs délégués par le ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation. (retour)

(2) Le président de la CNDHL a répondu le 17 février 2005 à un courrier de la FIDH et de l’OMCT en leur assurant qu’en tant que « coordinatrice des activités des ONG et associations nationales et internationales des droits de l’Homme, la CNDHL ne trouve aucun inconvénient et s’engage à assurer autant que possible la régularité de ladite mission ». (retour)

(3) Cf. Rapport annuel 2004 de l’Observatoire, p. 37. (retour)