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Rapport de la mission d’observation en Tunisie du 31 mai 2001

par | 30 mai 2001 | Commission d'observation de procès à l'étranger

 

Un observateur judiciaire de la Ligue Suisse des Droits de l’Homme a assisté à l’audience de plaidoiries qui s’est tenue le lundi 28 mai 2001 devant la Cour d’appel de Tunis dans le cadre de la procédure d’invalidation du Congrès de la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme ayant eu lieu les 28 et 29 octobre 2000.

Cette procédure civile a été engagée par quatre délégués à ce Congrès, membres ou sympathisants du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD, parti du Président BEN ALI), qui s’étaient portés candidats à l’élection du Comité directeur de la Ligue, mais n’avaient pas été élus.

Il y a lieu de préciser que statutairement, le Congrès de la Ligue doit se réunir tous les trois ans pour élire son Comité directeur. Ce congrès ne s’était pas réuni depuis 1994, en raison des graves problèmes de fonctionnement de la Ligue résultant des multiples entraves de la part des autorités tunisiennes. Toujours est-il que le Congrès d’octobre 2000 a été régulièrement convoqué. Toutes les sections ont désigné leurs délégués qui étaient présents lors des débats. De nombreuses personnalités étrangères ont assisté au Congrès, notamment dans le but d’attester de la régularité des débats et elles ont pu confirmer que ceux-ci se sont déroulés de manière totalement démocratique et dans la transparence la plus complète.

Le Congrès a été soigneusement préparé par le Comité directeur dont des membres, parmi lesquels une des plaignantes (Mme Arbia BEN AMMAR), se sont rendus auprès des diverses sections de la Ligue à travers le pays afin d’expliquer les raisons pour lesquelles le Congrès n’avait pas pu être convoqué durant les trois années précédentes et afin de s’assurer de la désignation des délégués.

Aucun membre de la Ligue n’a invoqué la moindre irrégularité concernant l’organisation ou les débats du Congrès, que ce soit avant la tenue de celui- ci ou lors de son déroulement.

Ce n’est que trois jours après la Congrès que le Ministre de la communication a fustigé ce Congrès et l’élection du nouveau Comité directeur. Quelques jours plus tard, quatre délégués, dont Mme Arbia BEN AMMAR, ancienne députée proche du pouvoir et parente de l’épouse du Président BEN ALI, qui avait pourtant déclaré au terme du Congrès que celui-ci s’était déroulé normalement, ont saisi le Tribunal de première instance d’une demande d’annulation du Congrès reprenant les griefs du Ministre de la communication et d’une demande en référé tendant à retirer immédiatement les pouvoirs au nouveau Comité directeur et à son nouveau Président Me Mokhtar TRIFI, un des ténors bien connu du barreau tunisien.

Le Tribunal a immédiatement donné suite à cette demande provisionnelle par voie d’ordonnance, retirant tout pouvoir au nouveau Comité directeur, en désignant un administrateur de la Ligue (proche du pouvoir) et en ordonnant la fermeture immédiate du secrétariat de la Ligue, décision qui a été exécutée dans l’heure par une importante escouade de policiers.

Sur le fond, le juge a admis la recevabilité de la demande, a renversé le fardeau de la preuve à charge des défendeurs en les intimant à prouver que le Congrès s’était tenu régulièrement, alors que c’était bien entendu aux plaignants de prouver le contraire, et a rendu un jugement annulant le Congrès et ordonnant à l’ancien Président de la Ligue, Me Taoufik BOUDERBALA, de convoquer un nouveau Congrès avec l’aide des membres de son choix du Conseil national de la Ligue, qui n’est pas l’organe compétent à cet effet, les statuts de la Ligue conférant cette compétence au Comité directeur. Il convient de noter que les plaignants n’ont pas offert de prouver les faits qu’ils ont allégués. Aucun témoin n’a été entendu par le Tribunal et le procès-verbal des débats du Congrès, qui est en mains de l’administrateur de la Ligue désigné par le Tribunal (au même titre que toutes les autres archives de la Ligue) n’a pas été produit devant le Juge de première instance ou devant la Cour d’appel.

Les avocats de la Ligue ont bien entendu recouru contre le jugement de première instance et l’audience finale en appel avait été fixée au lundi 28 mai.

Entre-temps, le Président BEN ALI avait convoqué Me Taoufik BOUDEBALA pour l’inviter à donner suite au jugement. L’ancien Président de la Ligue, bien que proche du RCD, a courageusement refusé de déférer à cette demande en faisant valoir que les débats du Congrès s’étaient déroulés tout à fait normalement. En outre, il a mis en évidence qu’une telle procédure violait totalement les statuts de la Ligue, qui confère cette tâche à un organe de l’association (en l’occurrence le Comité directeur) et non à une personne physique, et que de toute manière l’ordonnance provisionnelle désignant un administrateur enlevait pour le surplus tous pouvoirs, aussi bien aux anciens qu’aux nouveaux dirigeants de la Ligue ! C’est à ce moment-là, que le Président BEN ALI, se rendant compte de l’impasse juridique créée par le Tribunal, déclara que le Juge avait, en effet, commis une erreur en désignant un administrateur de la Ligue et qu’il n’avait pas eu connaissance de cette décision!

Lors des plaidoiries, les avocats ont formellement contesté que les statuts de la Ligue avaient été violés à l’occasion de son Congrès des 28 et 29 octobre 2000. Ils ont relevé qu’aucun grief n’avait été formulé à cette occasion par un plaignant ou un quelconque délégué. On ne pouvait pas invoquer la nullité d’un congrès et de l’élection du Comité du directeur, du fait le Congrès n’avait pas été convoqué en temps voulu. Aucune démarche n’avait été faite par quiconque afin que le Congrès soit convoqué plus rapidement et l’élection du nouveau Comité directeur ne faisait que rétablir une situation conforme aux statuts. On ne pouvait donc pas invoquer cette informalité pour demander une nouvelle convocation du Congrès qui n’aurait pas pu corriger la situation dont se plaignaient les quatre auteurs de la procédure.

En ce qui concerne l’interprétation des statuts, notamment quant à la non- rétroactivité de la règle introduite par le précédent Congrès de 1994, selon laquelle un membre ne pouvait pas être élu au Comité directeur plus de deux fois successivement, le Congrès était souverain pour décider à partir de quel moment cette règle s’appliquait.

Ils ont souligné le fait que l’élection du Comité directeur de 25 membres s’était déroulée au bulletin secret en présence de la quasi totalité des délégués (plus de 300). La personne ayant recueilli le plus de suffrages avait bénéficié de 197 voix, la 25ème de 123 voix.

Quant au meilleur classé des quatre plaignants, il était 28ème avec 76 voix seulement. C’est dire qu’aucun des plaignants n’aurait pu être élu, même s’il fallait considérer que deux des membres du Comité directeur étaient inéligibles du fait qu’ils avaient siégé au Comité directeur avant l’adoption de la règle statutaire limitant la durée du mandat de membre du Comité directeur.

Les avocats ont fait valoir qu’aucune clause d’ordre publique des statuts de la Ligue n’avait été violée, que le Congrès était le pouvoir suprême de la Ligue, que ses décisions ne pouvaient pas être remises en cause et que la demande était au surplus irrecevable. Ils ont ironisé sur le fait que les plaignants avaient réussi là où l’UGTT (Union Générale des Travailleurs Tunisiens) avait échoué en son temps, quant à la recevabilité d’une action civile attaquant des décisions d’un congrès d’une association. Quant à l’avocat de la défense, il a été fort bref et a demandé à ce que le jugement de première instance soit confirmé, afin que la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme modifie son fonctionnement, tout en précisant que ses clients ne voulaient pas la mort de celle-ci.

Pourtant, le procès intenté contre la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme s’inscrit très clairement dans le cadre d’une tentative du Président BEN ALI de museler l’une des rares forces tunisiennes démocratiques qui ose affronter le pouvoir et défendre, avec un courage exceptionnel, le respect des Droits de l’Homme en Tunisie, qui sont bafoués de manière constante et avec une cruauté inexcusable. La critique étant assimilée, en Tunisie, à une diffusion de fausses nouvelles et à une diffamation contre l’ordre public, rares sont ceux qui osent la pratiquer.

Le fait que le dernier Congrès de la Ligue ait massivement élu un Comité directeur formé de personnes très engagées dans le combat pour le respect des Droits de l’Homme et ait écarté les proches du RCD, alors que le précédent Congrès avait élu à une faible majorité un Comité directeur modéré (qui avait malgré tout déplu au Président BEN ALI) comportant des membres du RCD, tout en écartant certains des membres influants de la Ligue, a manifestement irrité le Président. Aucune décision importante n’étant prise en Tunisie sans son aval, celui-ci est de toute évidence à l’origine de la procédure judiciaire, qui vise à éliminer le nouveau Comité directeur et, plus particulièrement deux de ses membres, Khemais KSILA, bête noire du pouvoir, qui avait été condamné à cinq ans d’emprisonnement, et un autre membre de celui-ci, M. JOURCHI.

C’est dire que l’issue de cette procédure dont le verdict devrait tomber le 7 juin prochain est décisive pour la survie d’une Ligue des Droits de l’Homme fortement engagée dans le respect des Droits de l’Homme et des libertés en Tunisie. Il est important que cette tentative de museler celles et ceux qui dénoncent les violations à la Déclaration universelle des Droits de l’Homme à laquelle la Tunisie a souscrit en sa qualité de membre de l’ONU soit dénoncée dans les pays démocratiques, sachant que le pouvoir tunisien est très sensible à l’égard des informations données à ce sujet à l’étranger.

A ce sujet, il faut relever que toutes les libérations anticipées de détenus politiques en Tunisie intervenues ces dernières années sont le résultat des campagnes menées par les diverses organisations internationales et nationales de défense des Droits de l’Homme. La toute récente libération de l’avocat Me Najib HOSNI, lauréat de plusieurs prix internationaux en matière des Droits de l’Homme, est manifestement intervenue à la suite d’une campagne internationale sans précédent à laquelle les associations d’avocats des pays européens, des Etats-Unis et du Canada ont pris une part importante. Me HOSNI, que le soussigné a rencontré lors de son séjour à Tunis, a tenu à remercier publiquement toutes celles et tous ceux qui ont lutté pour sa libération.

Le soussigné tient également à souligner la libération de deux détenus politiques, Haroun M’BAREK, qui venait d’être condamné à trois ans de prison, et Béchir ABID, qui purgeait une peine de 18 mois de prison, alors que le soussigné avait déposé quelques jours auparavant une demande pour leur rendre visite dans le cadre de la grève de la faim qu’ils avaient engagée. Certes, d’autres interventions avaient été effectuées en faveur de ces deux personnes, notamment Haroun M’BAREK, lequel avait été expulsé de manière arbitraire en Tunisie par les autorités canadiennes, qui n’avaient pas voulu lui accorder le statut de réfugié politique. Il n’empêche que le démarche de la Ligue Suisse des Droits de l’Homme a certainement contribué à cet heureux dénouement, même si la demande de visiter l’un des quarante condamnés à mort qui subissent des conditions de détention exécrables, n’a pas été agréée par le Ministre de la justice.